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Le Petit Chose Part 14

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J'etais tres joyeux, je ne tenais plus en place, et M. Viot, qui descendit a l'etude pour savourer mon desespoir, eut l'air fort decu en voyant ma mine rejouie. A diner, je mangeai vite et bien; dans la cour, [82] je pardonnai les arrets des eleves. Enfin l'heure de la cla.s.se sonna.

Le plus pressant etait de voir Roger; d'un bond je fus a sa chambre; personne a sa chambre. "Bon! me dis-je en moi-meme, il sera alle faire un tour au cafe Barbette", et cela ne m'etonna pas dans des circonstances aussi dramatiques.

Au cafe Barbette personne encore: "Roger, me dit-on, etait alle a la Prairie avec les sous-officiers." Que diable pouvaient-ils faire la-bas par un temps pareil? Je commencais a etre fort inquiet; aussi, sans vouloir accepter une partie de billard qu'on m'offrait, je relevai le bas de mon pantalon et je m'elancai dans la neige, du cote de la Prairie, a la recherche de mon bon ami le maitre d'armes.

X

L'ANNEAU DE FER

Des portes de Sarlande a la Prairie il y a bien une bonne demi-lieue, mais, du train dont j'allais, je dus ce jour-la faire le trajet en moins d'un quart d'heure. Je tremblais pour Roger. J'avais peur que le pauvre garcon n'eut, malgre sa promesse, tout raconte au princ.i.p.al pendant l'etude; je croyais voir encore luire la crosse de son pistolet.

Cette pensee lugubre me donnait des ailes.

Pourtant, de distance en distance, j'apercevais sur la [83] neige la trace de pas nombreux allant vers la Prairie, et de songer que le maitre d'armes n'etait pas seul, cela me ra.s.surait un peu.

Alors, ralentissant ma course, je pensais a Paris, a Jacques, a mon depart.... Mais au bout d'un instant mes terreurs recommencaient.

- Roger va se tuer evidemment. Que serait-il venu chercher, sans cela, dans cet endroit desert, loin de la ville? S'il amene avec lui ses amis du cafe Barbette, c'est pour leur faire ses adieux, pour boire le coup de l'etrier, comme ils disent.... Oh! ces militaires!... Et me voila courant de nouveau a perdre haleine.

Heureus.e.m.e.nt j'approchais de la Prairie dont j'apercevais deja les grands arbres charges de neige. "Pauvre ami, me disais-je, pourvu que j'arrive a temps!"

La trace des pas me conduisit ainsi jusqu'a la guinguette d'Esperon.

Cette guinguette etait un endroit louche et de mauvais renom, ou les debauches de Sarlande faisaient leurs parties fines. J'y etais venu plus d'une fois en compagnie des n.o.bles curs, mais jamais je ne lui avais trouve une physionomie aussi sinistre que ce jour-la. Jaune et sale, au milieu de la blancheur immaculee de la plaine, elle se derobait, avec sa porte ba.s.se, ses murs decrepis et ses fenetres aux vitres mal lavees, derriere un taillis de pet.i.ts ormes. La maisonnette avait l'air honteuse du vilain metier qu'elle faisait.

Comme j'approchais, j'entendis un bruit joyeux de voix, de rires et de verres choques.

- Grand Dieu! me dis-je en fremissant, c'est le [84] coup de l'etrier.

Et je m'arretai pour reprendre haleine.

Je me trouvais alors sur le Derriere de la guinguette; je poussai une porte a claire-voie, et j'entrai dans le jardin. Quel jardin!

Une grande haie depouillee, des ma.s.sifs de lilas sans feuilles, des tas de balayures sur la neige, et des tonnelles toutes blanches qui ressemblaient a des huttes d'esquimaux. Cela etait d'un triste a faire pleurer.

Le tapage venait de la salle du rez-de-chaussee, et la ripaille devait chauffer a ce moment, car, malgre le froid, on avait ouvert toutes grandes les deux fenetres.

Je posais deja le pied sur la premiere marche du perron, lorsque j'entendis quelque chose qui m'arreta net et me glaca: c'etait mon nom p.r.o.nonce au milieu de grands eclats de rires. Roger parlait de moi, et, chose singuliere, chaque fois que le nom de Daniel Eyssette revenait, les autres riaient a se tordre.

Pousse par une curiosite douloureuse, sentant bien que j'allais apprendre quelque chose d'extraordinaire, je me rejetai en arriere et, sans etre entendu de personne, grace a la neige qui a.s.sourdissait comme un tapis le bruit de mes pas, je me glissai dans une des tonnelles, qui se trouvait fort a propos juste au-dessous des fenetres.

Je la reverrai toute ma vie, cette tonnelle; je reverrai toute ma vie la verdure morte qui la tap.i.s.sait, son sol boueux et sale, sa pet.i.te table peinte en vert et ses bancs de bois tout ruisselants d'eau....

A travers la neige dont elle etait chargee, le jour pa.s.sait a peine; la [85] neige fondait lentement et tombait sur ma tete goutte a goutte.

C'est la, c'est dans cette tonnelle noire et froide comme un tombeau que j'ai appris combien les hommes peuvent etre mechants et laches; c'est la que j'ai appris a douter, a mepriser, a har.... o vous qui me lisez, Dieu vous garde d'entrer jamais dans cette tonnelle!... Debout, retenant mon souffle, rouge de colere et de honte, j'ecoutais ce qui se disait chez Esperon.

Mon bon ami le maitre d'armes avait toujours la parole.... Il racontait l'aventure de Cecilia, la correspondance amoureuse, la visite de M. le sous-prefet au college, tout cela avec des enjolivements et des gestes qui devaient etre bien comiques, a en juger par les transports de l'auditoire.

- Vous comprenez, mes pet.i.ts amours, disait-il de sa voix goguenarde, qu'on n'a pas joue pour rien la comedie pendant trois ans sur le theatre des zouaves. Vrai comme je vous parle! j'ai cru un moment la partie perdue, et je me suis dit que je ne viendrais plus boire avec vous le bon vin du pere Esperon.... Le pet.i.t Eyssette n'avait rien dit, c'est vrai; mais il etait temps de parler encore, et, entre nous, je crois qu'il voulait seulement me laisser l'honneur de me denoncer moi-meme.

Alors je me suis dit: "Ayons l'il, Roger, et en avant la grande scene!"

La-dessus mon bon ami le maitre d'armes se mit a jouer ce qu'il appelait la grande scene, c'est-a-dire ce qui s'etait pa.s.se le matin dans ma chambre entre lui et moi. Ah! le miserable! il n'oublia rien....

Il criait: _Ma mere! ma pauvre mere!_ avec des intonations de [86]

theatre. Puis il imitait ma voix: "Non, Roger! non! vous ne sortirez pas!..." La grande scene etait reellement d'un haut comique, et tout l'auditoire se roulait. Moi, je sentais de grosses larmes ruisseler le long de mes joues, j'avais le frisson, les oreilles me tintaient, je devinais toute l'odieuse comedie du matin, je comprenais vaguement que Roger avait fait expres d'envoyer mes lettres pour se mettre a l'abri de toute mesaventure, que depuis vingt ans sa mere, sa pauvre mere, etait morte, et que j'avais pris l'etui de sa pipe pour une crosse de pistolet.

- Et la belle Cecilia? dit un n.o.ble cur.

- Cecilia n'a pas parle, elle a fait ses malles, c'est une bonne fille.

- Et le pet.i.t Daniel, que va-t-il devenir?

- Bah! repondit Roger.

Ici, un geste qui fit rire tout le monde.

Cet eclat de rire me mit hors de moi. J'eus envie de sortir de la tonnelle et d'apparaitre soudainement au milieu d'eux comme un spectre.

Mais je me contins: j'avais deja ete a.s.sez ridicule.

Le roti arrivait, les verres se choquerent:

- A Roger! a Roger! criait-on.

Je n'y tins plus, je souffrais trop. Sans m'inquieter si quelqu'un pouvait me voir, je m'elancai a travers le jardin. D'un bond je franchis la porte a claire-voie et je me mis a courir devant moi comme un fou.

La nuit tombait, silencieuse; et cet immense champ de neige prenait dans la demi-obscurite du crepuscule je ne sais quel aspect de profonde melancolie.

Je courus ainsi quelque temps comme un cabri [87] blesse; et si les curs qui se brisent et qui saignent etaient autre chose que des facons de parler, a l'usage des poetes, je vous jure qu'on aurait pu trouver derriere moi, sur la plaine blanche, une longue trace de sang.

Je me sentais perdu. Ou trouver de l'argent? Comment m'en aller?

Comment rejoindre mon frere Jacques? Denoncer Roger ne m'aurait meme servi de rien.... Il pouvait nier, maintenant que Cecilia etait partie.

Enfin accable, epuise de fatigue et de douleur, je me laissai tomber dans la neige au pied d'un chataignier. Je serais reste la jusqu'au lendemain peut-etre, pleurant et n'ayant pas la force de penser, quand tout a coup, bien loin, bien loin, du cote de Sarlande, j'entendis une cloche sonner.

C'etait la cloche du college. J'avais tout oublie; cette cloche me rappela a la vie: il me fallait rentrer et surveiller la recreation des eleves dans la _salle_.... En pensant a la _salle_, une idee subite me vint. Sur-le-champ mes larmes s'arreterent; je me sentis plus fort, plus calme. Je me levai, et, de ce pas delibere de l'homme qui vient de prendre une irrevocable decision, je repris le chemin de Sarlande.

Si vous voulez savoir quelle irrevocable decision vient de prendre le pet.i.t Chose, suivez-le jusqu'a Sarlande, a travers cette grande plaine blanche; suivez-le dans les rues sombres et boueuses de la ville; suivez-le sous le porche du college; suivez-le dans la _salle_ pendant la recreation, et remarquez avec quelle singuliere persistance il regarde le gros anneau de fer qui se balance au milieu; la recreation finie, suivez-le encore [88] jusqu'a l'etude, montez avec lui dans sa chaire, et lisez par-dessus son epaule cette lettre douloureuse qu'il est en train d'ecrire au milieu du vacarme et des enfants ameutes:

"_Monsieur Jacques Eyssette, rue Bonaparte, a Paris._

"Pardonne-moi, mon bien-aime Jacques, la douleur que je viens te causer.

Toi qui ne pleurais plus, je vais te faire pleurer encore une fois; ce sera la derniere, par exemple.... Quand tu recevras cette lettre, ton pauvre Daniel sera mort...."

Ici le vacarme de l'etude redouble; le pet.i.t Chose s'interrompt et distribue quelques punitions de droite et de gauche, mais gravement, sans colere. Puis il continue:

"Vois-tu, Jacques, j'etais trop malheureux. Je ne pouvais pas faire autrement que de me tuer. Mon avenir est perdu: on m'a cha.s.se du college; puis, j'ai fait des dettes, je ne sais plus travailler, j'ai honte, je m'ennuie, j'ai le degout, la vie me fait peur.... J'aime mieux m'en aller....

"Adieu, Jacques! J'en aurais encore long a te dire, mais je sens que je vais pleurer, et les eleves me regardent. Dis a maman que j'ai glisse du haut d'un rocher, en promenade, ou bien que je me suis noye en patinant.

Enfin, invente une histoire, mais que la pauvre femme ignore toujours la verite!... Embra.s.se-la bien pour moi, cette chere mere; embra.s.se aussi notre pere, et tache de leur reconstruire vite un beau foyer....

Adieu! je t'aime. Souviens-toi de Daniel."

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Le Petit Chose Part 14 summary

You're reading Le Petit Chose. This manga has been translated by Updating. Author(s): Alphonse Daudet. Already has 662 views.

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