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Le Petit Chose Part 16

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Au moment de sortir, j'apercus sur un coin de la cheminee plusieurs vieilles pipes toutes noires. Je pris la plus vieille, la plus noire, la plus courte, et je la mis dans ma poche comme une relique; puis je descendis.

En bas, la porte du vieux gymnase etait encore entr'ouverte.

Je ne pus m'empecher d'y jeter un regard en pa.s.sant, et ce que je vis me fit frissonner.

Je vis la grande salle sombre et froide, l'anneau de fer qui reluisait, et ma cravate violette, avec son nud coulant, qui se balancait dans le courant d'air au-dessus de l'escabeau renverse.

XI

LES CLEFS DE M. VIOT

Comme je sortais du college a grandes enjambees, encore tout emu de l'horrible spectacle que je venais d'avoir, la loge du portier s'ouvrit brusquement, et j'entendis qu'on m'appelait:

[96]

- Monsieur Eyssette! monsieur Eyssette!

C'etait le maitre du cafe Barbette et son digne ami M. Ca.s.sagne, l'air effare, presque insolents.

Le cafetier parla le premier.

- Est-ce vrai que vous partez, monsieur Eyssette?

- Oui, monsieur Barbette, repondis-je tranquillement, je pars aujourd'hui meme.

M. Barbette fit un bond, M. Ca.s.sagne en fit un autre; mais le bond de M. Barbette fut bien plus fort que celui de M. Ca.s.sagne, parce que je lui devais beaucoup d'argent.

- Comment! aujourd'hui meme!

- Aujourd'hui meme, et je cours de ce pas retenir ma place a la diligence.

Je crus qu'ils allaient me sauter a la gorge.

- Et mon argent? dit M. Barbette.

- Et le mien? hurla M. Ca.s.sagne.

Sans repondre, j'entrai dans la loge, et tirant gravement, a pleines mains, les belles pieces d'or de l'abbe Germane, je me mis a leur compter sur le bout de la table ce que je leur devais a tous les deux.

Ce fut un coup de theatre! Les deux figures renfrognees se deriderent, comme par magie.... Quand ils eurent empoche leur argent, un peu honteux des craintes qu'ils m'avaient montrees, et tout joyeux d'etre payes, ils s'epancherent en compliments de condoleance et en protestations d'amitie:

- Vraiment, monsieur Eyssette, vous nous quittez? Oh! quel dommage!

Quelle perte pour la maison!

Et puis des oh! des ah! des helas! des soupirs, des poignees de main, des larmes etoffees....

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La veille encore j'aurais pu me laisser prendre a ces dehors d'amitie, mais maintenant j'etais ferre a glace sur les questions de sentiment.

Le quart d'heure pa.s.se sous la tonnelle m'avait appris a connaitre les hommes,-du moins je le croyais ainsi,-et plus ces affreux gargotiers se montraient affables, plus ils m'inspiraient de degout. Aussi, coupant court a leurs effusions ridicules, je sortis du college et m'en allai bien vite retenir ma place a la bienheureuse diligence qui devait m'emporter loin de tous ces monstres.

En revenant du bureau des messageries, je pa.s.sai devant le cafe Barbette, mais je n'entrai pas; l'endroit me faisait horreur. Seulement, pousse par je ne sais quelle curiosite malsaine, je regardai a travers les vitres....

Le cafe etait plein de monde. Les n.o.bles curs etaient au complet, il ne manquait que le maitre d'armes.

Je regardai un moment ces grosses faces rouges je m'enfuis....

Or, comme je m'acheminais vers le college, suivi d'un homme de la diligence pour emporter ma malle, je vis venir sur la place le maitre d'armes, semillant, une badine a la main, le feutre sur l'oreille, mirant sa moustache fine dans ses belles bottes vernies.... De loin je le regardais avec admiration en me disant: "Quel dommage qu'un si bel homme porte une si vilaine ame!..." Lui, de son cote, m'avait apercu et venait vers moi avec un bon sourire bien loyal et deux grands bras ouverts....

- Je vous cherchais, me dit-il.... Qu'est-ce que j'apprends? Vous...

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Il s'arreta net. Mon regard lui cloua ses phrases menteuses sur les levres. Et dans ce regard qui le fixait d'aplomb, en face, le miserable dut lire bien des choses, car je le vis tout a coup palir, balbutier, perdre contenance; mais ce ne fut que l'affaire d'un instant: il reprit aussitot son air flambant, planta dans mes yeux deux yeux froids et brillants comme l'acier, et, fourrant ses mains au fond de ses poches d'un air resolu, il s'eloigna en murmurant que ceux qui ne seraient pas contents n'auraient qu'a venir le lui dire.... Bandit, va!

Quand je rentrai au college, les eleves etaient en cla.s.se. Nous montames dans ma mansarde. L'homme chargea la malle sur ses epaules et descendit.

Moi, je restai encore quelques instants dans cette chambre glaciale, regardant les murs nus et salis, le pupitre noir tout dechiquete, et, par la fenetre etroite, les platanes des cours qui montraient leurs tetes couvertes de neige.... En moi-meme je disais adieu a tout ce monde.

A ce moment j'entendis une voix de tonnerre qui grondait dans les cla.s.ses: c'etait la voix de l'abbe Germane. Elle me rechauffa le cur et fit venir au bord des cils quelques bonnes larmes.

Apres quoi je descendis lentement, regardant attentif autour de moi, comme pour emporter dans mes yeux l'image, toute l'image, de ces lieux que je ne devais plus jamais revoir. C'est ainsi que je traversai les longs corridors a hautes fenetres grillagees ou les yeux noirs m'etaient apparus pour la premiere fois. Dieu vous protege, mes chers yeux noirs!...

Je pa.s.sai aussi [99] devant le cabinet du princ.i.p.al, avec sa double porte mysterieuse; puis, a quelques pas plus loin, devant le cabinet de M. Viot.... La je m'arretai subitement.... o joie, o delices! les clefs, les terribles clefs pendaient a la serrure, et le vent les faisait doucement fretiller. Je les regardai avec une sorte de terreur religieuse; puis, tout a coup, une idee de vengeance me vint. Traitreus.e.m.e.nt, d'une main sacrilege, je retirai le trousseau de la serrure, et, le cachant sous ma redingote, je descendis l'escalier quatre a quatre.

Il y avait au bout de la cour des moyens un puits tres profond. J'y courus d'une haleine.... A cette heure la cour etait deserte; la fee aux lunettes n'avait pas encore releve son rideau. Tout favorisait mon crime.

Alors, tirant les clefs de dessous mon habit, ces miserables clefs qui m'avaient tant fait souffrir, je les jetai dans le puits de toutes mes forces.... Frinc! frinc! frinc! Je les entendis degringoler, rebondir contre les parois, et tomber lourdement dans l'eau qui se referma sur elles; ce forfait commis, je m'eloignai souriant.

Sous le porche, en sortant du college, la derniere personne que je rencontrai fut M. Viot, mais un M. Viot sans ses clefs, hagard, effare, courant de droite et de gauche. Quand il pa.s.sa pres de moi, il me regarda un moment avec angoisse. Le malheureux avait envie de me demander si je ne _les_ avais pas vues. Mais il n'osa pas....

A ce moment le portier lui criait du haut de l'escalier, en se penchant:

- Monsieur Viot, je ne les trouve pas!

J'entendis l'homme aux clefs faire tout bas:

[100]

- Oh! mon Dieu!

Et il part.i.t comme un fou a la decouverte.

J'aurais ete heureux de jouir plus longtemps de ce spectacle, mais le clairon de la diligence sonnait sur la place d'Armes, et je ne voulais pas qu'on part.i.t sans moi.

Et maintenant, adieu pour toujours, grand college enfume, fait de vieux fer et de pierres noires; adieu, vilains enfants! adieu, reglement feroce! Le pet.i.t Chose s'envole et ne reviendra plus. Et vous, marquis de Boucoyran, estimez-vous heureux: on s'en va, sans vous allonger ce fameux coup d'epee, si longtemps medite avec les n.o.bles curs du cafe Barbette....

Fouette, cocher! Sonne, trompette! Bonne vieille diligence, fais feu de tes quatre roues, emporte le pet.i.t Chose au galop de tes trois chevaux....

Emporte-le bien vite dans sa ville natale, pour qu'il embra.s.se sa mere chez l'oncle Baptiste, et qu'ensuite il mette le cap sur Paris et rejoigne au plus vite Eyssette (Jacques) dans sa chambre du Quartier latin!...

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Le Petit Chose Part 16 summary

You're reading Le Petit Chose. This manga has been translated by Updating. Author(s): Alphonse Daudet. Already has 651 views.

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