The Principal Navigations, Voyages, Traffiques and Discoveries of the English Nation - BestLightNovel.com
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Il me manquoit encore differentes choses pour etre, en tout comme mes compagnons de voyage. Le namelouck m'en avoit averti, et mon hote Laurent me mena lui-meme au bazar pour en faire l'acquisition. C'etoient de pet.i.tes coiffes de soie a la mode des Turcomans, un bonnet pour mettre sous la coiffe, des cuilleres Turques, des couteaux avec leur fusil, un peigne avec son etui, et un gobelet de cuir. Tout celle s'attache et se suspend a l'epee.
J'achetai aussi des poucons [Footnote: Sorte de doigtier qu'on mettoit au pouce, afin de le garantir et de le defendra de l'impression de la corde.]
pour tirer de l'arc, un tarquais nouveau tout garni, pour epargner le mien, qui etoit tres-beau, et que je voulois conserver; enfin un capinat: c'est une robe de feutre, blanche, tres-fine, et impenetrable a la pluie.
En route je m'etois lie avec quelques-uns de mes compagnons de caravane.
Ceux ci, quand ils surent que j'etois loge chez un Franc, vinrent me trouver pour me demander de leur procurer du vin. Le vin leur est defendu par leur loi, et ils n'auroient ose en boire devant les leurs; mais ils esperoient le faire sans risque chez un Franc, et cependant ils revenoient de la Mecque. J'en parlai a mon hote Laurent, qui me dit qu'il ne l'oseroit, parce que, si la chose etoit sue, il courroit les plus grands dangers. J'allai leur rendre cette reponse; mais ils en avoient deja cherche ailleurs, et venoient d'en trouver chez un Grec. Ils me proposerent donc, soit par pure amitie, soit pour etre autorise, aupres du Grec a boire, d'aller avec eux chez lui, et je les y accompagnai.
Cet homme nous conduisit dans une pet.i.te galerie, ou nous nous a.s.simes par terre, en cercle, tous les six. Il posa d'abord au milieu de nous un grand et beau plat de terre, qui eut pu contenir au moins huit lots (seize pintes); ensuite il apporta pour chacun de nous un pot plein de vin, le versa dans le vase, et y mit deux ecuelles de terre qui devoient nous servir de gobelets.
Un de la troupe commenca la premier, et il but a son compagnon, selon l'usage du pays. Celui-ci en fit de meme pour son suivant, et ainsi des autres. Nous b.u.mes de cette maniere, et sans manger, pendant fort long-temps. Enfin, quand je m'apercus que je ne pouvois pas continuer davantage sans m'incommoder, je les suppliai a mains jointes de m'en dispenser; mais ils se facherent beaucoup, et se plaignirent, comme si j'avois resolu d'interrempre leurs plaisirs et de leur faire tort.
Heureus.e.m.e.nt il yen avoit un parmi eux qui etoit plus lie avec moi, et qui m'aimoit tant qu'il m'appeloit kardays, c'est-a-dire frere. Celui-ci s'offrit a prendre ma place, et a boire pour moi quand ce seroit mon tour.
Cette offre les satisfit; ils l'accepterent, et la partie continua jusqu'au soir, ou-il nous fallut retourner au kan.
Le chef etoit en ce moment a.s.sis sur un siege de pierre, et il avoit devant lui un fallot allume. Il ne lui fut pas difficile de diviner d'ou nous venions: aussi y eut-il quatre de mes camarades qui s'esquiverent; il n'en resta qu'un avec moi. Je dis tout ceci, afin de prevenir les personnes qui, demain ou un jour quelconque, voyageroient, ainsi que moi, dans leur pays, qu'elles se gardent bien de boire avec eux, a moins qu'elles ne veuillent etre obligees d'en prendre jusqu'a ce qu'elles tombent a terre.
Le mamelouck ne savoit rien de ma debauche. Pendant ce temps il avoit achete une oie pour nous deux. Il venoit de la faire bouillir, et, au defaut de verjus, il l'avoit accommodee avec des feuilles vertes de porreaux. J'en mangeai avec lui, et elle nous dura trois jours.
J'aurois bien desire voir Alep; mais la caravane n'y allant point et se rendant directement a Antioche, il fallut y renoncer. Cependant, comme elle ne devoit se mettre en marche que deux jours apres, le mamelouck fut d'avis que nous prissions tous deux les devants, afin de trouver plus ais.e.m.e.nt a nous loger. Quatre autres camarades, marchands Turcs, demanderent a etre des notres, et nous partimes tous six ensemble.
A une demi-lieue de Hama, nous trouvames la riviere et nous la pa.s.sames sur un pont. Elle etoit debordee, quoiqu'il n'eut point plu. Mois, je voulus y faire boire mon cheval; mais la rive etoit escarpee et l'eau profonde, et infailliblement je m'y serois noye si le mamelouck n'etoit venu a mon secours.
Au dela du fleuve est une longue et vaste plaine qui dure toute une journee. Nous y rencontrames six a huit Turcomans accompagnes d'une femme.
Elle portoit la tarquais ainsi qu'eux; et, a ce sujet, on me dit que celles de cette nation sont braves et qu'en guerre elles combattent comme les hommes. On ajouta meme, et ceci m'etonna bien davantage, qu'il y en a environ trente mille qui portent ainsi le tarquais, et qui sont soumises a un seigneur nomme Turcgadiroly, lequel habite les montagnes d'Armenie, sur les frontieres de la Perse.
La seconde journee fut a travers un pays de montagnes. Il est a.s.sez beau quoique peu arrose; mais par tout on ne voyoit que des habitations detruites. Tout en le traversant, mon mamelouck m'apprit a tirer de l'arc, et il me fit acheter des poucons et des anneaux pour tirer. Enfin nous arrivames a un village riche en bois, en vign.o.bles, en terres a ble, mais qui n'avoit d'autres eaux que celles de citernes. Ce canton paroissoit avoir ete habite autrefois par des chretiens, et j'avoue qu'on me fit un grand plaisir quand on me dit que tout cela avoit ete aux Francs, et qu'on me montra pour preuve des eglises abattues.
Nous y logeames; et ce fut la premiere fois que je vis des habitations de Turcomans, et des femmes de cette nation a visage decouvert. Ordinairement elles le cachent sous un morceau d'etamine noire, et celles qui sont riches y portent attachees des pieces de monnoie et des pierres precieuses. Les hommes sont bons archers. J'en vis plusieurs tirer de l'arc. Ils tirent a.s.sis et a but court: ce peu d'es.p.a.ce donne a leurs fleches une grande rapidite.
Au sortir de la Syrie on entre dans la Turcomanie, que nous appellons Armenie. La capitale est une tres-grande ville qu'ils nomment Antequaye, et nous Antioche. Elle fut jadis tres-florissante et a encore de beaux murs bien entiers, qui renferment un tres-grand es.p.a.ce et meme des montagnes.
Mais on n'y compte point a present plus de trois cents maisons. Au midi elle est bornee par une montagne, au nord par un grand lac, au-dela duquel on trouve un beau pays bien ouvert. Le long des murs coule la riviere qui vient de Hama. Presque tous les habitans sont Turcomans ou Arabes, et leur etat est d'elever des troupeaux, tels que chameaux, chevres, vaches et brebis.
Ces chevres, les plus belles que j'aie jamais vues, sont la plupart blanches; elles n'ont point comme celles de Syrie, les oreilles pendantes, et portent une laine longue douce et crepue. Les moutons ont de grosses et larges queues. On y nourrit aussi des anes sauvages qu'on apprivoise et qui, avec un poil, des oreilles et une tete pareils a ceux de cerf, ont comme lui la pied fendu. J'ignore s'ils ont son cri, car je ne les ai point entendus crier. Ils sont beaux, fort grands, et vont avec les autres betes; mais je n'ai point vu qu'on les montat. [Footnote: Cet animal ne peut etre un ane, puisqu'il a le pied fendu et que l'ane ne l'a point. C'est probablement une espece de gazelle, ou plutot un bubale.]
Pour le transport de leurs marchandises, les habitans se servent de boeufs et de buffles, comme nous nous servons de chevaux.
Ils les emploient aussi en montures; et j'en ai vu des troupes dans lesquelles les uns etoient charges de marchandises, et les autres etoient montes.
Le seigneur de ce pays etoit Ramedang, prince riche, brave et puissant.
Pendant longtemps il se rendit si redoutable que le soudan le craignois et n'osoit l'irriter. Mais le soudan voulut le detruire, et dans ce dessein, il s'entendit avec le karman, qui pouvoit mieux que personne tromper Ramedang, puisqu'il lui avoit donne sa soeur en mariage. En effet, un jour qu'ils mangoient ensemble, il l'arreta et le livra au soudan, qui le fit mourrir et s'empara de la Turcomanie, dont cependant il donna un portion au karman.
Au sortir d'Antioche, je repris ma route avec mon mamelouck; et d'abord nous eumes a pa.s.ser une montagne nommee Negre, sur laquelle on me montra trois ou quatre beaux chateaux ruines, qui jadis avoient appartenu a des chretiens. Le chemin est beau et sans cesse on y est parfume par les lauriers nombreux qu'elle produit; mais la descente en est une fois plus rapide que la montee. Elle about.i.t au golfe qu'on nomme d'Asacs, et que nous autres nous appellons Layaste, parce qu'en effet c'est la ville d'Ayas qui lui donne son nom. Il s'etend entre deux montagnes, et s'avance dans les terres l'es.p.a.ce d'environ quinze milles. Sa largeur a l'occident m'a paru etre de douze; mais sur cet article je m'en rapporte a la carte marine.
Au pied de la montagne, pres du chemin et sur le bord de la mer, sont les restes d'un chateau fort, qui du cote de la terre etoit defendu par un marecage; de sorte qu'on ne pouvoit y aborder que par mer, ou par une chaussee etroite qui traversoit le marais. Il etoit inhabite, mais en avant s'etoient etablis des Turcomans. Ils occupoient cent vingt pavillons, les uns de feutre, les autre de coton bleu et blanc, tous tres-beaux, tous a.s.sez grands pour loger a l'aise quinze ou seize personnes. Ce sont leurs maisons, et, comme nous dans les notres, ils y font tout leur menage, a l'exception du feu.
Nous nous arretames chez eux. Ils vinrent placer devant nous une de ces nappes a coulisses dont j'ai parle, et dans laquelle il y avoit encore des miettes de pain, des fragmens de fromage et des grains de raisin. Apres quoi ils nous apporterent une douzaine de pains plats avec un grand quartier de lait caille, qu'ils appellent yogort. Ces pains, larges d'un pied, sont ronds et plus mince que des...o...b..ies. On les plie en cornet, comme une oublie a pointes, et on les mange avec le caille.
Une lieue au-dela etoit une pet.i.t karva.s.sera (caravanserai) ou nous logeames. Ces etablis.e.m.e.ns consistent en maisons, comme les kans de Syrie.
En route, dans le cours de la journee j'avois rencontre un Ermin (Armenien) qui parloit un peu Italien. S'etant apercu que j'etois chretien, il se lia de conversation avec moi, et me conta beaucoup de details, tant sur le pays et les habitans, que sur le soudan et ce Ramedang, seigneur de Turchmanie, dont je viens de faire mention. Il me dit que ce dernier etoit un homme de haute taille, tres-brave, et le plus habile de tous les Turcs a manier la ma.s.se et l'epee. Sa mere etoit une chretienne, qui l'avoit fait baptiser a la loi Gregoise (selon le rit des Grecs) "pour lui oster le flair et la senteur que ont ceulx qui ne sont point baptisez." [Footnote: Les chretiens d'Asie croyoient de bonne foi que les infideles avoient une mauvaise odeur qui leur etoit particuliere, et qu'ils perdoient par le bapteme. Il sera encore parle plus bas de cette superst.i.tion. Ce bapteme etoit, selon la loi Gregoise, par immersion.]
Mais il n'etoit ni bon chretien ni bon Sarrasin; et quand on lui parloit des deux prophetes Jesus et Mahomet, il disoit: Moi, je suis pour les prophetes vivans, il me seront plus utiles que ceux qui sont morts.
Ses Etats touchoient d'un cote a ceux du karman, dont il avoit epouse la soeur; de l'autre a la Syrie, qui appartenoit au soudan. Toutes les fois que par son pays pa.s.soit un des sujets de celui-ci, il en exigeoit des peages. Mais enfin le soudan obtint du karman, comme je l'ai dit, qu'il le lui livreroit; et aujourd'hui il possede toute la Turcomanie jusqu'a Tha.r.s.e et meme une journee par-de-la.
Ce jour-la nous logeames de nouveau chez des Turcomans, ou l'on nous servit, encore du lait; et l'Armenien nous y accompagna. Ce fut la que je vis faire par des femmes ces pains minces et plats dont j'ai parle. Voici comment elles s'y prennent. Elles ont une pet.i.te table ronde, bien unie, y jettent un peu de farine qu'elles detrempent avec de l'eau et en font une pate plus molle que celle du pain. Cette pate, elles la partagent en plusieurs morceaux ronds, qu'elles aplatissent autant qu'il leur est possible avec un rouleau en bois, d'un diametre un peu moindre que celui d'un oeuf, jusqu'a ce qu'ils soient amincis au point que j'ai dit. Pendant ce temps elles ont une plaque de fer convexe, qui est posee sur un trepied et echauffee en dessous par un feu doux. Elles y etendent la feuille de pate et la retournent tout aussitot, de sorte qu'elles ont plus-tot fait deux de leurs pains qu'un oublieur chez nous n'a fait une oublie.
J'employai deux jours a traverser le pays qui est autour du golfe. Il est fort beau, et avoit autrefois beaucoup de chateaux qui appartenoient aux chretiens, et qui maintenant sont detruits. Tel est celui qu'on voit en avant d'Ayas, vers le levant.
Il n'y a dans la contree que des Turcomans. Ce sont de beaux hommes, excellens archers et vivant de peu. Leurs habitations sont rondes comme des pavillons et couvertes de feutre. Ils demeurent toujours en plein champ, et ont un chef auquel ils obeissent; mais ils changent souvent de place, et alors ils emportent avec eux leurs maisons. Leur coutume dans ce cas est de se soumettre au seigneur sur les terres duquel ils s'etablissent, et meme de le servir de leurs armes s'il a guerre. Mais s'ils quittent ses domaines et qu'ils pa.s.sent sur ceux de son ennemi, ils serviront celui-ci a son tour contre l'autre, et on ne leur en sait pas mauvais gre, parce que telle est leur coutume et qu'ils sont errans.
Sur ma route je rencontrai un de leurs chefs qui voloit (cha.s.soit au vol) avec des faucons et prenoit des oies privees. On me dit qu'il pouvoit bien avoir sous ses ordres dix mille Turcomans. Le pays est favorable pour la cha.s.se, et coupe par beaucoup de pet.i.tes rivieres qui descendent des montagnes et se jettent dans le golfe. On y trouve sur-tout beaucoup de sangliers.
Vers le milieu du golfe, sur le chemin de terre, est un defile forme par une roche sur laquelle on pa.s.se, et qui se trouve a deux portees d'arc de la mer. Jadis ce pa.s.sage etoit defendu par un chateau qui le rendoit tres-fort. Aujourd'hui il est abandonne.
Au sortir, de cette gorge on entre dans une belle et grande plaine, peuplee de Turcomans. Mais l'Armenien mon compagnon me montra sur une montagne un chateau ou il n'y avoit, disoit-il, que des gens de sa nation, et dont les murs sont arroses par une riviere nommee Jehon. Nous cotoyames la riviere jusqu'a une ville qu'on nomme Misse-sur-Jehon, parce qu'elle la traverse.
Misse, situee a quatre journees d'Antioche, appartint a des chretiens et fut une cite importante. On y voit encore plusieurs eglises a moitie detruites et dont il ne reste plus d'entier que le choeur de la grande, qu'on a converti en mosquee. Le pont est en bois, parce que le premier a ete detruit, aussi. Enfin, des deux moities de la ville, l'une est totalement en ruines; l'autre a conserve ses murs et environ trois cents maisons qui sont remplies par des Turcomans.
De Misse a Adeve (Adene) le pays continue d'etre uni et beau; et ce sont encore des Turcomans qui l'habitent. Adene est a deux journees de Misse, et je me proposois d'y attendre la caravane.
Elle arriva. J'allai avec le mamelouck et quelques autres personnes, dont plusieurs etoient de gros marchands, loger pres du pont, entre la riviere et les murs; et ce fut la que je vis comment les Turcs font leurs prieres et leurs sacrifices; car non seulement ils ne se cachoient point de moi, mais ils paroissoient meme contens quand "je disois mes patrenostre, qui leur sambloit merveilles. Je leur ouys dire acunes fois leus heures en chantant, a l'entree de la nuit, et se a.s.sieent a la reonde (en rond) et branlent le corps et la teste, et chantent bien sauvaigement."
Un jour ils me menerent avec eux aux etuves et aux bains de la ville; et comme je refusai de me baigner, parce qu'il eut fallu me deshabiller et que je craignois de montrer mon argent, ils me donnerent leurs robes a garder.
Depuis ce moment nous fumes tres-lies ensemble.
La maison du bain est fort elevee et se termine par un dome, dans lequel a ete pratiquee une ouverture circulaire qui eclaire tout l'interieur. Les etuves et les bains sont beaux et tres-propres. Quand ceux qui se baignent sortent de l'eau, ils viennent s'a.s.seoir sur de pet.i.tes claies d'osier fin, ou ils s'essuient et peignent leur barbe.
C'est dans Adene que je vis pour la premiere fois les deux jeunes gens qui a la Mecque s'etoient fait crever les yeux apres avoir vu la sepulture de Mahomet.
Les Turcs sont gens de fatigue, d'une vie dure, et a qui il ne coute rien, ainsi que je l'ai vu tout le long de la route, de dormir sur la terre commes les animaux. Mais ils sont d'humeur gaie et joyeuse, et chantent volontiers chansons de gestes. Aussi quelqu'un qui veut vivre avec eux ne doit etre ni triste ni reveur, mais avoir toujours le visage riant. Du reste, ils sont gens de bonne foi et charitables les uns envers les autres.
"J'ay veu bien souvent, quant nous mengions, que s'il pa.s.soit ung povre homme aupres d'eulx, faisoient venir mengier avec nous: ce que nous, ne fesiesmes point."
Dans beaucoup d'endroits j'ai trouve qu'ils ne cuisent point leur pain la moitie de ce que l'est le notre. Il est mou, et a moins d'y etre accoutume, on a bien de la peine a le macher. Pour leur viande, ils la mangent crue, sechee au soleil. Cependant quand une de leurs betes, cheval ou chameau, est en danger de mort ou sans espoir, ils l'egorgent et la mangent non crue, un peu cuite. Ils sont tres-propres dans l'appret de leurs viandes; mais ils mangent tres-salement. Ils tiennent de meme fort, proprement leur barbe; mais jamais ils ne se lavent les mains que quand ils se baignent, qu'ils veulent faire leur priere, ou qu'ils se lavent la barbe ou le derriere.
Adene est une a.s.sez bonne ville marchande, bien fermee de murailles, situee en bon pays et a.s.sez voisine de la mer. Sur ses murs pa.s.se une grosse riviere qui vient des hautes montagnes d'Armenie et qu'on nomme Adena. Elle a un pont fort long et le plus large que j'aie jamais vu. Ses habitans et son amiral (son seigneur, son prince) sont Turcomans: cet amiral est le frere de ce brave Ramedang que le soudan fit mourir ainsi que je l'a raconte. On m'a dit meme que le soudan a entre les mains son fils, et qu'il n'ose le laisser retourner en Turcomanie.
D'Adene j'allai a Therso que nous appellons Tha.r.s.e. Le pays, fort beau encore, quoique voisin des montagnes, est habite par des Turcomans, dont les uns logent dans des villages et les autres sous des pavillons. Le canton ou est batie Tha.r.s.e abonde en ble, vins, bois et eaux. Elle fut une ville fameuse, et l'on y voit encore de tres-anciens edifices. Je crois que c'est celle qu'a.s.siegea Baudoin, frere de G.o.defroi de Bouillon. Aujourd'hui elle a un amiral nomme par le soudan, et il y demeure plusieurs Maures.
Elle est defendue par un chateau, par des fosses a glacis et par une double enceinte de murailles, qui en certains endroits est triple. Une pet.i.te riviere la traverse, et a peu de distance il en coule une autre.
J'y trouvai un marchand de Cypre, nomme Antoine, qui depuis long-temps demeuroit dans le pays et en savoit bien la languei. Il m'en parla pertinemment; mais il me fit un autre plaisir, celui de me donner de bon vin, car depuis plusieurs jours je n'en avois point bu.
Tha.r.s.e n'est qu'a soixante milles du Korkene (Curco), chateau construit sur la mer, et qui appartient au roi de Cypre.
Dans tout ce pays on parle Turc, et on commence meme a le parler des Antioche, qui est, comme je l'ai dit, la capitale de Turcomanie. "C'est un tres-beau langaige, et brief, et bien aisie pour aprendre."
Comme nous avions a traverser les hautes montagnes d'Armenie, Hoyarbarach, le chef de notre caravane, voulut qu'elle fut toute reunie; et dans ce dessein il attendit quelques jours. Enfin nous partimes la veille de la Toussaint. Le mamelouck m'avoit conseille de m'approvisioner pour quatre journees. En consequence j'achetai pour moi une provision de pain et de fromage, et pour mon cheval une autre d'orge et de paille.