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Popular Tales Part 10

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Je dis le loup, car tous les loups; Ne sont pas de la mesme sorte; Il en est d'une humeur accorte, Sans bruit, sans fiel & sans couroux, Qui privez, complaisans & doux, Suivant les jeunes Demoiselles, Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles; Mais helas! qui ne scait que ces Loups doucereux, De tous les Loups sont les plus dangereux._

LA BARBE BLEUe.

Il estoit une fois un homme qui avoit de belles maisons a la Ville & a la Campagne, de la vaisselle d'or & d'argent, des meubles en broderie, & des carosses tout dorez; mais par malheur cet homme avoit la Barbe-bleue: cela le rendoit si laid & si terrible, qu'il n'estoit ni femme ni fille qui ne s'enfuit de devant luy. Une de ses Voisines, Dame de qualite avoit deux filles parfaitement belles. Il luy en demanda une en Mariage, & luy laissa le choix de celle qu'elle voudroit luy donner.

Elles n'en vouloient point toutes deux, & se le renvoyoient l'une a l'autre, ne pouvant se resoudre a prendre un homme qui eut la barbe bleue. Ce qui les degoutoit encore, c'est qu'il avoit deja epouse plusieurs femmes, & qu'on ne scavoit ce que ces femmes estoient devenues. La Barbe bleue pour faire connoissance, les mena avec leur Mere, & trois ou quatre de leurs meilleures amies, & quelques jeunes gens du voisinage, a une de ses maisons de Campagne, ou on demeura huit jours entiers. Ce n'estoit que promenades, que parties de cha.s.se & de pesche, que danses & festins, que collations: on ne dormoit point, & on pa.s.soit toute la nuit a se faire des malices les uns aux autres: enfin tout alla si bien, que la Cadette commenca a trouver que le Maistre du logis n'avoit plus la barbe si bleue, & que c'estoit un fort honneste homme. Des qu'on fust de retour a la Ville, le Mariage se conclut. Au bout d'un mois la Barbe bleue dit a sa femme qu'il estoit oblige de faire un voyage en Province, de six semaines au moins, pour une affaire de consequence; qu'il la prioit de se bien divertir pendant son absence, qu'elle fit venir ses bonnes amies, qu'elle les menast a la Campagne si elle vouloit, que par tout elle fit bonne chere: Voila, luy dit-il, les clefs des deux grands garde-meubles, voila celles de la vaisselle d'or & d'argent qui ne sert pas tous les jours, voila celles de mes coffres forts, ou est mon or & mon argent, celles des ca.s.settes ou sont mes pierreries, & voila le pa.s.se-par-tout de tous les appartemens: pour cette pet.i.te clef-cy, c'est la clef du cabinet au bout de la grande gallerie de l'appartement bas: ouvrez tout, allez par tout, mais pour ce pet.i.t cabinet je vous deffens d'y entrer, & je vous le deffens de telle sorte, que s'il vous arrive de l'ouvrir, il n'y a rien que vous ne deviez attendre de ma colere. Elle promit d'observer exactement tout ce qui luy venoit d'estre ordonne: & luy, apres l'avoir embra.s.see, il monte dans son carosse, & part pour son voyage. Les voisines & les bonnes amies n'attendirent pas qu'on les envoyast querir pour aller chez la jeune Mariee, tant elles avoient d'impatience de voir toutes les richesses de sa Maison, n'ayant ose y venir pendant que le Mari y estoit, a cause de sa Barbe bleue qui leur faisoit peur. Les voila aussi-tost a parcourir les chambres, les cabinets, les garderobes, toutes plus belles & plus riches les unes que les autres. Elles monterent en suite aux gardemeubles, ou elles ne pouvoient a.s.sez admirer le nombre & la beaute des tap.i.s.series, des lits, des sophas, des cabinets, des gueridons, des tables & des miroirs, ou l'on se voyoit depuis les pieds jusqu'a la teste, & dont les bordures les unes de glace, les autres d'argent, & de vermeil dore, estoient les plus belles & les plus magnifiques qu'on eut jamais veues: Elles ne cessoient d'exagerer & d'envier le bon heur de leur amie, qui cependant ne se divertissoit point a voir toutes ces richesses, a cause de l'impatience qu'elle avoit d'aller ouvrir le cabinet de l'appartement bas. Elle fut si pressee de sa curiosite, que sans considerer qu'il estoit malhonneste de quitter sa compagnie, elle y descendit par un pet.i.t escalier derobe, & avec tant de precipitation, qu'elle pensa se rompre le cou deux ou trois fois. Estant arrivee a la porte du cabinet, elle s'y arresta quelque temps, songeant a la deffense que son Mari luy avoit faite, & considerant qu'il pourrait luy arriver malheur d'avoir este desobessante; mais la tentation estoit si forte qu'elle ne put la surmonter: elle prit donc la pet.i.te clef, & ouvrit en tremblant la porte du cabinet. D'abord elle ne vit rien, parce que les fenestres estoient fermees; apres quelques momens elle commenca a voir que le plancher estoit tout couvert de sang caille, & que dans ce sang se miroient les corps de plusieurs femmes mortes, & attachees le long des murs. (C'etoit toutes les femmes que la Barbe bleue avoit epousees & qu'il avoit egorgees l'une apres l'autre.) Elle pensa mourir de peur, & la clef du cabinet qu'elle venoit de retirer de la serrure luy tomba de la main: apres avoir un peu repris ses esprits, elle rama.s.sa la clef, referma la porte, & monta a sa chambre pour se remettre un peu, mais elle n'en pouvoit venir a bout, tant elle estoit emeue. Ayant remarque que la clef du cabinet etoit tachee de sang, elle l'essuia deux ou trois fois, mais le sang ne s'en alloit point; elle eut beau la laver, & mesme la frotter avec du sablon & avec du grais, il demeura toujours du sang, car la clef estait Fee, & il n'y avoit pas moyen de la nettoyer tout-a-fait: quand on otoit le sang d'un coste, il revenoit de l'autre. La Barbe-bleue revint de son voyage des le soir mesme, & dit qu'il avoit receu des Lettres dans le chemin, qui luy avoient appris que l'affaire pour laquelle il estoit party, venoit d'estre terminee a son avantage. Sa femme fit tout ce qu'elle put pour luy temoigner qu'elle estoit ravie de son promt retour. Le lendemain il luy redemanda les clefs, & elle les luy donna, mais d'une main si tremblante, qu'il devina sans peine tout ce qui s'estoit pa.s.se. D'ou vient, luy dit-il, que la clef du cabinet n'est point avec les autres: il faut, dit-elle, que je l'aye laissee la-haut sur ma table. Ne manquez pas, dit la Barbe bleue de me la donner tantost; apres plusieurs remises il falut apporter la clef. La Barbe bleue l'ayant consideree, dit a sa femme, pourquoy y a-t-il du sang sur cette clef? je n'en scais rien, repondit la pauvre femme, plus pasle que la mort: Vous n'en scavez rien, reprit la Barbe bleue, je le scay bien moy, vous avez voulu entrer dans le cabinet? He bien, Madame, vous y entrerez, & irez prendre vostre place aupres des Dames que vous y avez veues. Elle se jetta aux pieds de son Mari, en pleurant et en luy demandant pardon, avec toutes les marques d'un vrai repentir de n'avoir pas este obeissante. Elle auroit attendri un rocher, belle & affligee comme elle estoit; mais la Barbe bleue avoit le coeur plus dur qu'un rocher: Il faut mourir, Madame, luy dit-il, & tout a l'heure. Puis qu'il faut mourir, repondit-elle, en le regardant, les yeux baignez de larmes, donnez moy un peu de temps pour prier Dieu. Je vous donne un demy-quart-d'heure, reprit la Barbe bleue, mais pas un moment davantage.

Lors qu'elle fut seule, elle appella sa soeur, & luy dit, ma soeur Anne, car elle s'appelloit ainsi, monte je te prie sur le haut de la Tour, pour voir si mes freres ne viennent point, ils m'ont promis qu'ils me viendroient voir aujourd'huy, & si tu les vois, fais-leur signe de se hater. La soeur Anne monta sur le haut de la Tour, & la pauvre affligee luy crioit de temps en temps, _Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir_. Et la soeur Anne luy repondoit, _je ne vois rien que le Soleil qui poudroye, & l'herbe qui verdoye_. Cependant la Barbe bleue tenant un grand coutelas a sa main, crioit de toute sa force a sa femme, descens viste, ou je monteray la-haut. Encore un moment s'il vous plaist, luy repondoit sa femme, & aussi-tost elle crioit tout bas, _Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir_, & la soeur Anne repondoit, _je ne voy rien que le Soleil qui poudroye, & l'herbe qui verdoye_. Descens donc viste, crioit la Barbe bleue, ou je monteray la haut. Je m'en vais, repondoit sa femme, & puis elle crioit _Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir_. Je vois, repondit la soeur Anne, une grosse poussiere qui vient de ce coste-cy. Sont-ce mes freres? Helas, non, ma soeur, c'est un Troupeau de Moutons. Ne veux-tu pas descendre, crioit la Barbe bleue.

Encore un moment repondoit sa femme & puis elle crioit, _Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir_. Je vois, repondit-elle, deux Cavaliers qui viennent de ce coste-cy, mais il sont bien loin encore: Dieu soit loue, s'ecria-t'elle un moment apres, ce sont mes freres; je leur fais signe tant que je puis de se haster. La Barbe bleue se mit a crier si fort que toute la maison en trembla. La pauvre femme descendit, & alla se jetter a ses pieds tout epleuree & toute echevelee: Cela ne sert de rien, dit la Barbe bleue, il faut mourir, puis la prenant d'une main par les cheveux, & de l'autre levant le coutelas en l'air, il alloit luy abbattre la teste. La pauvre femme se tournant vers luy, & le regardant avec des yeux mourans, le pria de luy donner un pet.i.t moment pour se recueillir: Non, non, dit-il, recommande-toy bien a Dieu; & levant son bras.... Dans ce moment on heurta si fort a la porte, que la Barbe bleue s'arresta tout court: on ouvrit, & aussitost on vit entrer deux Cavaliers, qui mettant l'epee a la main, coururent droit a la Barbe bleue. Il reconnut que c'etoit les freres de sa femme, l'un Dragon & l'autre Mousquetaire, desorte qu'il s'enfuit aussi-tost pour se sauver: mais les deux freres le poursuivirent de si pres, qu'ils l'attraperent avant qu'il pust gagner le perron: Ils luy pa.s.serent leur epee au travers du corps, & le laisserent mort. La pauvre femme estoit presque aussi morte que son Mari, & n'avoit pas la force de se lever pour embra.s.ser ses Freres. Il se trouva que la Barbe bleue n'avoit point d'heritiers, & qu'ainsi sa femme demeura maitresse de tous ses biens.

Elle en employa une partie a marier sa soeur Anne avec un jeune Gentilhomme, dont elle estoit aimee depuis long-temps; une autre partie a acheter des Charges de Capitaine a ses deux freres; & le reste a se marier elle-mesme a un fort honneste homme, qui luy fit oublier le mauvais temps qu'elle avoit pa.s.se avec la Barbe bleue.

MORALITe.

_La curiosite malgre tous ses attraits, Couste souvent bien des regrets; On en voit tous les jours mille exemples paroistre, C'est, n'en deplaise au s.e.xe, un plaisir bien leger, Des qu'on le prend il cesse d'estre, Et toujours il couste trop cher._

Autre Moralite.

_Pour peu qu'on ait l'esprit sense, Et que du Monde on scache le grimoire, On voit bien-tost que cette histoire Est un conte du temps pa.s.se; Il n'est plus d'Epoux si terrible, Ny qui demande l'impossible; Fut-il mal-content & jaloux, Pres de sa femme on le voit filer doux; Et de quelque couleur que sa barbe puisse estre, On a peine a juger qui des deux est le maistre._

LE MAISTRE CHAT,

OU

LE CHAT BOTTe.

_CONTE._

Un Meusnier ne laissa pour tout biens a trois enfans qu'il avoit, que son Moulin, son Asne, & son Chat. Les partages furent bien-tot faits, ny le Notaire, ny le Procureur n'y furent point appelles. Ils auroient eu bien-tost mange tout le pauvre patrimoine. L'aisne eut le Moulin, le second eut l'Asne, & le plus jeune n'eut que le Chat. Ce dernier ne pouvoit se consoler d'avoir un si pauvre lot: Mes freres, disoit-il, pourront gagner leur vie honnestement en se mettant ensemble; pour moi, lors que j'aurai mange mon chat, & que je me seray fait un manchon de sa peau, il faudra que je meure de faim. Le Chat qui entendoit ce discours, mais qui n'en fit pas semblant, luy dit dun air pose & serieux, ne vous affliges point, mon maistre, vous n'avez qu'a me donner un Sac, & me faire une paire de Bottes pour aller dans les brousailles, & vous verez que vous n'etes pas si mal partage que vous croyez. Quoique le Maistre du Chat ne fit pas grand fond la-dessus, il lui avoit veu faire tant de tours de souplesse, pour prendre des Rats & des Souris; comme quand il se pendoit par les pieds, ou qu'il se cachoit dans la farine pour faire le mort, qu'il ne desespera pas d'en estre secouru dans sa misere.

Lorsque le chat eut ce qu'il avoit demande, il se botta bravement; & mettant son sac a son cou, il en prit les cordons avec ses deux pattes de devant, & s'en alla dans une garenne ou il y avoit grand nombre de lapins. Il mit du son & des la.s.serons dans son sac, & s'estendant comme s'il eut este mort, il attendit que quelque jeune lapin, peu instruit encore des ruses de ce monde, vint se fourer dans son sac pour manger ce qu'il y avoit mis. A peine fut-il couche, qu'il eut contentement; un jeune etourdi de lapin entra dans son sac, & le maistre chat tirant aussitost les cordons le prit & le tua sans misericorde. Tout glorieux de sa proye, il s'en alla chez le Roy & demanda a luy parler. On le fit monter a l'Appartement de sa Majeste, ou estant entre il fit une grande reverence au Roy, & luy dit, voyla, Sire, un Lapin de Garenne que Monsieur le Marquis de Carabas (c'estoit le nom qu'il lui prit en gre de donner a son Maistre) m'a charge de vous presenter de sa part. Dis a ton Maistre, repondit le Roy, que je le remercie, & qu'il me fait plaisir.

Un autre fois il alla se cacher dans un ble tenant toujours son sac ouvert; & lors que deux Perdrix y furent entrees, il tira les cordons, & les prit toutes deux. Il alla ensuite les presenter au Roy, comme il avoit fait le Lapin de garenne. Le Roy receut encore avec plaisir les deux Perdrix, & luy fit donner pour boire. Le chat continua ainsi pendant deux ou trois mois a porter de temps-en-temps au Roy du Gibier de la cha.s.se de son Maistre. Un jour qu'il sceut que le Roy devoit aller a la promenade sur le bord de la riviere avec sa fille, la plus belle Princesse du monde, il dit a son Maistre: si vous voulez suivre mon conseil, vostre fortune est faite; vous n'avez qu'a vous baigner dans la riviere a l'endroit que je vous montreray, & ensuite me laisser faire.

Le Marquis de Carabas fit ce que son chat lui conseilloit, sans scavoir a quoy cela seroit bon. Dans le temps qu'il se baignoit, le Roy vint a pa.s.ser, & le Chat se mit a crier de toute sa force: au secours, au secours, voila Monsieur le Marquis de Carabas qui se noye. A ce cry le Roy mit la teste a la portiere, & reconnoissant le Chat qui luy avoit apporte tant de fois du Gibier, il ordonna a ses Gardes qu'on allast viste au secours de Monsieur le Marquis de Carabas. Pendant qu'on retiroit le pauvre Marquis de la riviere, le Chat s'approcha du Carosse, & dit au Roy que dans le temps que son Maistre se baignoit, il estoit venu des Voleurs qui avoient emporte ses habits, quoy qu'il eut crie au voleur de toute sa force; le drosle les avoit cachez sous une grosse pierre. Le Roy ordonna aussi-tost aux Officiers de sa Garderobbe d'aller querir un de ses plus beaux habits pour Monsieur le Marquis de Carabas.

Le Roy luy fit mille caresses, & comme les beaux habits qu'on venoit de luy donner relevoient sa bonne mine (car il estoit beau; & bien fait de sa personne) la fille du Roy le trouva fort a son gre, & le Comte de Carabas ne luy eut pas jette deux ou trois regards fort respectueux, & un peu tendres, qu'elle en devint amoureuse a la folie. Le Roi voulut qu'il mtast dans son Carosse, & qu'il fust de la promenade: Le Chat ravi de voir que son dessein commencoit a reussir, prit les devants, & ayant rencontre des Paysans qui fauchoient un Pre, il leur dit, _bonnes gens qui fauchez, si vous ne dites au Roy que le pre que vous fauchez appartient a Monsieur le Marquis de Carabas, vous serez tous hachez menu comme chair a paste_. Le Roy ne manqua pas a demander aux Faucheux a qui estoit ce Pre qu'ils fauchoient. C'est a Monsieur le Marquis de Carabas, dirent-ils tous ensemble, car la menace du Chat leur avoit fait peur.

Vous avez la un bel heritage, dit le Roy, au Marquis de Carabas. Vous voyez, Sire, repondit le Marquis, c'est un pre qui ne manque point de rapporter abondament toutes les annees. Le maistre chat qui alloit toujours devant, rencontra des Moissonneurs, & leur dit, _Bonnes gens qui moissonnez, si vous ne dites que tous ces blez appartiennent a Monsieur le Marquis de Carabas, vouz serez tous hachez menu comme chair a paste_. Le Roy qui pa.s.sa un moment apres, voulut scavoir a qui appartenoient tous les bles qu'il voyoit. C'est a Monsieur le Marquis de Carabas, repondirent les Moissonneurs, & le Roy s'en rejouit encore avec le Marquis. Le Chat qui alloit devant le Carosse, disoit toujours la meme chose a tous ceux qu'il rencontroit; & le Roy estoit estonne des grands biens de Monsieur le Marquis de Carabas. Le maistre Chat arriva enfin dans un beau Chateau dont le Maistre estoit un Ogre, le plus riche qu'on ait jamais veu, car toutes les terres par ou le Roy avoit pa.s.se estoient de la dependance de ce Chasteau: le Chat qui eut soin de s'informer qui estoit cet Ogre, & ce qu'il scavoit faire, demanda a luy parler, disant qu'il n'avoit pas voulu pa.s.ser si pres de son Chasteau, sans avoir l'honneur de luy faire la reverence. L'Ogre le receut aussi civilement que le peut un Ogre, & le fit reposer. On m'a a.s.sure, dit le Chat, que vous aviez le don de vous changer en toute sorte d'Animaux, que vous pouviez, par exemple, vous transformer en Lyon, en Elephant?

cela est vray, repondit l'Ogre brusquement, & pour vous le montrer, vous m'allez voir devenir Lyon. Le Chat fut si efraye de voir un Lyon devant luy, qu'il gagna aussi-tost les goutieres, non sans peine & sans peril, a cause de ses bottes qui ne valoient rien pour marcher sur les tuiles.

Quelque temps apres le Chat ayant veu que l'Ogre avoit quitte sa premiere forme, descendit, & avoua qu'il avoit eu bien peur. On m'a a.s.sure encore, dit le Chat, mais je ne scaurois le croire, que vous aviez aussi le pouvoir de prendre la forme des plus pet.i.ts Animaux, par exemple, de vous changer en un Rat, en une souris; je vous avoue que je tiens cela tout a fait impossible. Impossible? reprit l'Ogre, vous allez voir, & en meme temps il se changea en une Souris qui se mit a courir sur le plancher. Le chat ne l'eut pas pl.u.s.tost apercue, qu'il se jetta dessus, & la mangea. Cependant le Roy qui vit en pa.s.sant le beau Chasteau de l'Ogre, voulut entrer dedans. Le Chat qui entendit le bruit du Carosse qui pa.s.soit sur le pont levis, courut au devant, & dit au Roy: Vostre Majeste soit la bien venue dans le Chasteau de Monsieur le Marquis de Carabas. Comment Monsieur le Marquis, s'ecria le Roy, ce Chasteau est encore a vous, il ne se peut rien de plus beau que cette cour & que tous ces Bastimens qui l'environnent: voyons les dedans s'il vous plaist. Le Marquis donna la main a la jeune Princesse, & suivant le Roy qui montoit le premier, ils entrerent dans une grande Sale ou ils trouverent une magnifique colation que l'Ogre avoit fait preparer pour ses amis qui le devoient venir voir ce meme jour-la mais qui n'avoient pas ose entrer, scachant que le Roi y estoit. Le Roy charme des bonnes qualitez de Monsieur le Marquis de Carabas, de meme que sa fille qui en estoit folle; & voyant les grands biens qu'il possedoit, luy dit, apres avoir beu cinq ou six coups, il ne tiendra qu'a vous Monsieur le Marquis que vous ne soyez mon gendre. Le Marquis faisant de grandes reverences, accepta l'honneur que luy faisoit le Roy; & des le meme jour epousa la Princesse. Le Chat devint grand Seigneur, & ne courut plus apres les souris, que pour se divertir.

MORALITe.

_Quelque grand que soit l'avantage, De jouir d un riche heritage Venant a nous de pere en fils, Aux jeunes gens pour l'ordinaire, L'industrie & le scavoir faire, Vallent mieux que des biens acquis._

Autre Moralite.

_Si le fils d'un Meunier, avec tant de vitesse, Gagne le coeur d'une Princesse, Et s'en fait regarder avec des yeux mourans, C'est que l'habit, la mine & la jeunesse, Pour inspirer de la tendresse, N'en sont pas des moyens toujours indifferens._

LES FeES.

_CONTE._

Il estoit une fois une veuve qui avoit deux filles, l'ainee luy ressembloit si fort & d'humeur & de visage, que qui la voyoit voyait la mere. Elles etoient toutes deux si desagreables & si orgueilleuses qu'on ne pouvoit vivre avec elles. La cadette qui estoit le vray portrait de son Pere pour la douceur & l'honnestete, estoit avec cela une des plus belles filles qu'on eust sceu voir. Comme on aime naturellement son semblable, cette mere estoit folle de sa fille ainee, & en meme temps avoit une aversion effroyable pour la cadette. Elle la faisoit manger a la Cuisine & travailler sans cesse.

Il falloit entre-autre chose que cette pauvre enfant allast deux fois le jour puiser de l'eau a une grande demy lieue du logis, & qu'elle en raportast plein une grande cruche. Un jour qu'elle estoit a cette fontaine, il vint a elle une pauvre femme qui la pria de luy donner a boire? Ouy da, ma bonne mere, dit cette belle fille, & rincant aussi tost sa cruche, elle puisa de l'eau au plus bel endroit de la fontaine, & la luy presenta, soutenant toujours la cruche afin qu'elle but plus ais.e.m.e.nt. La bonne femme ayant bu, luy dit, vous estes si belle, si bonne, & si honneste, que je ne puis m'empecher de vous faire un don, (car c'estoit une Fee qui avoit pris la forme d'une pauvre femme de village, pour voir jusqu'ou iroit l'honnestete de cette jeune fille.) Je vous donne pour don, poursuivit la Fee, qu'a chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou une Fleur, ou une Pierre precieuse. Lorsque cette belle fille arriva au logis, sa mere la gronda de revenir si tard de la fontaine. Je vous demande pardon, ma mere, dit cette pauvre fille, d'avoir tarde si long-temps, & en disant ces mots il luy sort.i.t de la bouche deux Roses, deux Perles, & deux gros Diamans.

Que voy-je-la, dit sa mere tout estonnee, je crois qu'il luy sort de la bouche des Perles & des Diamants, d'ou vient cela, ma fille, (ce fut la la premiere fois qu'elle l'appella sa fille.) La pauvre enfant luy raconta navement tout ce qui luy estoit arrive, non sans jetter une infinite de Diamants. Vrayment, dit la mere, il faut que j'y envoye ma fille, tenez Fanchon, voyez ce qui sort de la bouche de votre soeur quand elle parle, ne seriez-vous pas bien aise d'avoir le mesme don, vous n'avez qu'a aller puiser de l'eau a la fontaine, & quand une pauvre femme vous demandera a boire, luy en donner bien honnestement. Il me feroit beau voir, repondit la brutale aller a la fontaine: Je veux que vous y alliez, reprit la mere, & tout a l'heure. Elle y alla, mais toujours en grondant. Elle prit le plus beau Flacon d'argent qui fut dans le logis. Elle ne fut pas pl.u.s.tost arrivee a la fontaine qu'elle vit sortir du bois une Dame magnifiquement vestue qui vint luy demander a boire, c'estoit la meme Fee qui avoit apparu a sa soeur, mais qui avoit pris l'air & les habits d'une Princesse, pour voir jusqu'ou iroit la malhonnestete de cette fille. Est-ce que je suis icy vennue, luy dit cette brutale orgueileuse, pour vous donner a boire, justement j'ai apporte un Flacon d'argent tout expres pour donner a boire a Madame?

J'en suis d'avis, beuvez a meme si vous voulez. Vous n'estes guere honneste, reprit la Fee, sans se mettre en colere: & bien, puisque vous estes si peu obligeante, je vous donne pour don, qu'a chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou un serpent ou un c.r.a.pau.

D'abord que sa mere l'aperceut, elle luy cria, He bien ma fille! He bien, ma mere, luy repondit la brutale, en jettant deux viperes, deux c.r.a.paux. O! Ciel, s'ecria la mere, que vois-je-la, c'est sa soeur qui en est cause, elle me le payera; & aussitost elle courut pour la battre. La pauvre enfant s'enfuit, & alla se sauver dans la Forest prochaine. Le fils du Roi qui revenoit de la cha.s.se, la rencontra, & la voyant si belle, luy demanda ce qu'elle faisoit la toute seule & ce qu'elle avoit a pleurer. Helas! Monsieur, c'est ma mere qui m'a cha.s.see du logis. Le fils du Roi qui vit sortir de sa bouche cinq ou six Perles, & autant de Diamants, la pria de luy dire d'ou cela luy venoit. Elle luy conta toute son avanture. Le fils du Roi en devint amoureux, considerant qu'un tel don valoit mieux que tout ce qu'on pouvoit donner en mariage a une autre, l'emmena au Palais du Roi son pere, ou il l'epousa. Pour sa soeur elle se fit tant har, que sa propre mere la cha.s.sa de chez elle; & la malheureuse apres avoir bien couru sans trouver personne qui voulut la recevoir, alla mourir au coin d'un bois.

MORALITe.

_Les Diamans & les Pistoles, Peuvent beaucoup sur les Esprits; Cependant les douces paroles Ont encor plus de force, & sont d'un plus grand prix._

Autre Moralite.

_L'honnestete couste des soins, Et veut un peu de complaisance, Mais tost ou tard elle a sa recompense, Et souvent dans le temps qu'on y pense le moins._

CENDRILLON

OU LA PEt.i.tE

PANTOUFLE DE VERRE.

_CONTE._

Il estoit une fois un Gentil-homme qui epousa en secondes nopces une femme, la plus hautaine & la plus fiere qu'on eut jamais veue. Elle avoit deux filles de son humeur, & qui luy ressembloient en toutes choses. Le Mari avoit de son coste une jeune fille, mais d'une douceur & d'une bonte sans exemple, elle tenoit cela de sa Mere, qui estoit la meilleure personne du monde. Les nopces ne furent pas plutost faites, que la Belle-mere fit eclater sa mauvaise humeur, elle ne put souffrir les bonnes qualitez de cette jeune enfant, qui rendoient ses filles encore plus haissables. Elle la chargea des plus viles occupations de la Maison: c'estoit elle qui nettoyoit la vaiselle & les montees, qui frottoit la chambre de Madame, & celles de Mesdemoiselles ses filles: elle couchoit tout au haut de la maison dans un grenier sur une mechante pailla.s.se, pendant que ses soeurs estoient dans des chambres parquetees, ou elles avoient des lits des plus a la mode, & des miroirs ou elles se voyoient depuis les pieds jusqu'a la teste; la pauvre fille souffroit tout avec patience, & n'osoit s'en plaindre a son pere qui l'auroit grondee, parce que sa femme le gouvernoit entierement. Lors quelle avoit fait son ouvrage, elle s'alloit mettre au coin de la cheminee, & s'a.s.seoir dans les cendres, ce qui faisoit qu'on l'appelloit communement dans le logis Cucendron; la cadette qui n'estoit pas si malhonneste que son aisnee, l'appelloit Cendrillon; cependant Cendrillon avec ses mechans habits, ne laissoit pas d'estre cent fois plus belle que ses soeurs, quoy que vestues tres-magnifiquement.

Il arriva que le fils du Roi donna un bal, & qu'il en pria toutes les personnes de qualite: nos deux Demoiselles en furent aussi priees, car elles faisoient grande figure dans le Pays. Les voila bien aises & bien occupees a choisir les habits & les coeffures qui leur seeroient le mieux; nouvelle peine pour Cendrillon car c'estoit elle qui repa.s.soit le linge de ses soeurs & qui G.o.dronoit leurs manchettes: on ne parloit que de la maniere dont on s'habilleroit. Moy, dit l'ainee, je mettray mon habit de velours rouge & ma garniture d'Angleterre. Moy, dit la cadette, je n'auray que ma juppe ordinaire; mais en recompense, je mettray mon manteau a fleurs d'or, & ma barriere de diamans, qui n'est pas des plus indifferentes. On envoya querir la bonne coeffeuse, pour dresser les cornettes a deux rangs, & on fit acheter des mouches de la bonne Faiseuse: elles appellerent Cendrillon pour luy demander son avis, car elle avoit le gout bon. Cendrillon les conseilla le mieux du monde, & s'offrit mesme a les coeffer; ce qu'elles voulurent bien. En les coeffant, elles luy disoient, Cendrillon, serois-tu bien aise d'aller au Bal? Helas, Mesdemoiselles, vous vous mocquez de moy, ce n'est pas la ce qu'il me faut: tu as raison; on riroit bien, si on voyoit un Culcendron aller au Bal. Une autre que Cendrillon les auroit coeffees de travers; mais elle estoit bonne, & elle les coeffa parfaitement bien. Elles furent pres de deux jours sans manger, tant elles estoient transportees de joye: on rompit plus de douze lacets a force de les serrer pour leur rendre la taille plus menue, & elles estoient toujours devant leur miroir. Enfin l'heureux jour arriva, on part.i.t, & Cendrillon les suivit des yeux le plus longtems qu'elle put; lors qu'elle ne les vit plus, elle se mit a pleurer. Sa Maraine qui la vit toute en pleurs, luy demanda ce qu'elle avoit: Je voudrois bien.... Je voudrois bien.... Elle pleuroit si fort qu'elle ne put achever: sa Maraine qui estoit Fee, luy dit, tu voudrois bien aller au Bal, n'est-ce pas; Helas ouy, dit Cendrillon en soupirant: He bien, seras tu bonne fille, dit sa Maraine, je t'y feray aller? Elle la mena dans sa chambre, & luy dit, va dans le jardin & apporte-moy une citrouille: Cendrillon alla aussi-tost cueillir la plus belle qu'elle put trouver, & la porta a sa Maraine, ne pouvant deviner comment cette citrouille la pourroit faire aller au Bal: sa Maraine la creusa, & n'ayant laisse que l'ecorce, la frappa de sa baguette, & la citrouille fut aussi-tost changee en un beau carosse tout dore. Ensuite elle alla regarder dans sa sourissiere, ou elle trouva six souris toutes en vie, elle dit a Cendrillon de lever un peu la trappe de la sourissiere, & a chaque souris qui sortoit, elle lui donnoit un coup de sa baguette, & la souris estoit aussi-tost changee en un beau cheval; ce qui fit un bel attelage de six chevaux, d'un beau gris de souris pommele: Comme elle estoit en peine de quoy elle feroit un Cocher, je vais voir, dit Cendrillon, s'il n'y a point quelque rat dans la ratiere, nous en ferons un Cocher: Tu as raison, dit sa Maraine, va voir: Cendrillon luy apporta la ratiere, ou il y avoit trois gros rats: La Fee en prit un d'entre les trois, a cause de sa maitresse barbe, & l'ayant touche, il fut change en un gros Cocher, qui avoit une des plus belles moustaches qu'on ait jamais veues. Ensuite elle luy dit, va dans le jardin, tu y trouveras six lezards derriere l'arrosoir, apporte-les-moy, elle ne les eut pas plutost apportez, que la Maraine les changea en six Laquais, qui monterent aussi-tost derriere le carosse avec leurs habits chamarez, & qui s'y tenoient attachez, comme s'ils n'eussent fait autre chose de toute leur vie. La Fee dit alors a Cendrillon: He bien, voila de quoy aller au bal, n'es-tu pas bien aise? Ouy, mais est ce que j'irai comme cela avec mes vilains habits: Sa Maraine ne fit que la toucher avec sa baguette, & en meme tems ses habits furent changez en des habits de drap d'or & d'argent, tout chamarez de pierreries: elle luy donna ensuite une paire de pantoufles de verre, les plus jolies du monde.

Quand elle fut ainsi paree, elle monta en carosse; mais sa Maraine luy recommanda sur toutes choses de ne pas pa.s.ser minuit, l'avertissant que si elle demeuroit au Bal un moment davantage, son carosse redeviendroit citrouille, ses chevaux des souris, ses laquais des lezards, & que ses vieux habits reprendroient leur premiere forme. Elle promit a sa Maraine qu'elle ne manqueroit pas de sortir du Bal avant minuit: Elle part, ne se sentant pas de joye. Le Fils du Roi qu'on alla avertir, qu'il venoit d'arriver une grande Princesse qu'on ne connoissoit point, courut la recevoir; il luy donna la main a la descente du carosse, & la mena dans la salle ou estoit la compagnie: il se fit alors un grand silence; on cessa de danser, & les violons ne jouerent plus, tant on estoit attentif a contempler les grandes beautez de cette inconnue: on n'entendoit qu'un bruit confus, ha, qu'elle est belle! le Roi meme tout vieux qu'il estoit, ne laissoit pas de la regarder, & de dire tout bas a la Reine, qu'il y avoit long-tems qu'il n'avoit vu une si belle & si aimable personne. Toutes les Dames estoient attentives a considerer sa coeffure et ses habits, pour en avoir des le lendemain de semblables, pourveu qu'il se trouvast des etoffes a.s.sez belles, et des ouvriers a.s.sez habiles. Le Fils du Roi la mit a la place la plus honorable, & ensuite la prit pour la mener danser: elle danca avec tant de grace, qu'on l'admira encore davantage. On apporta une fort belle collation, dont le jeune Prince ne mangea point, tant il estoit occupe a la considerer.

Elle alla s'a.s.seoir aupres de ses soeurs, & leur fit mille honnestetez: elle leur fit part des oranges & des citrons que le Prince luy avoit donnez; ce qui les estonna fort, car elles ne la connoissoient point.

Lorsqu'elles causoient ainsi, Cendrillon entendit sonner onze heures trois quarts: elle fit aussi-tost une grande reverence a la compagnie, & s'en alla le plus viste qu'elle put. Des qu'elle fut arrivee, elle alla trouver sa Maraine, & apres l'avoir remerciee, elle luy dit qu'elle souhaiteroit bien aller encore le lendemain au Bal, parce que le Fils du Roi l'en avoit priee. Comme elle estoit occupee a raconter a sa Maraine tout ce qui s'etoit pa.s.se au Bal, les deux soeurs heurterent a la porte; Cendrillon leur alla ouvrir: Que vous estes longtems a revenir, leur dit-elle, en baillant, en se frottant les yeux, & en s'etendant comme si elle n'eust fait que de se reveiller: elle n'avoit cependant pas eu envie de dormir depuis qu'elles s'estoient quittees: Si tu estois venue au Bal, luy dit une de ses soeurs, tu ne t'y serois pas ennuyee: il y est venu la plus belle Princesse, la plus belle qu'on puisse jamais voir; elle nous a fait mille civilitez, elle nous a donne des oranges & des citrons. Cendrillon ne se sentoit pas de joye: elle leur demanda le nom de cette Princesse; mais elles luy repondirent qu'on ne la connoissoit pas, que le Fils du Roi en estoit fort en peine, & qu'il donneroit toutes choses au monde pour scavoir qui elle estoit.

Cendrillon sourit & leur dit, elle estoit donc bien belle? Mon Dieu que vous estes heureuses, ne pourrois-je point la voir? Helas! Mademoiselle Javotte, prestez-moy votre habit jaune que vous mettez tous les jours: vraiment, dit Mademoiselle Javotte, je suis de cet avis, prestez vostre habit a un vilain Cucendron comme cela, il faudroit que je fusse bien folle. Cendrillon s'attendoit bien a ce refus, & elle en fut bien aise, car elle auroit este grandement embarra.s.see si sa soeur eut bien voulu luy prester son habit. Le lendemain les deux soeurs furent au Bal, & Cendrillon aussi, mais encore plus paree que la premiere fois. Le Fils du Roi fut toujours aupres d'elle, & ne cessa de luy conter des douceurs; la jeune Demoiselle ne s'ennuyoit point, & oublia ce que sa Maraine luy avoit recommande; de sorte qu'elle entendit sonner le premier coup de minuit, lors qu'elle ne croyoit pas qui fut encore onze heures: elle se leva & s'enfuit aussi legerement qu'auroit fait une b.i.+.c.he: le Prince la suivit, mais il ne put l'attraper; elle laissa tomber une de ses pantoufles de verre, que le prince rama.s.sa bien soigneus.e.m.e.nt. Cendrillon arriva chez elle bien essouflee, sans carosse, sans laquais, & avec ses mechants habits, rien ne luy estant reste de toute sa magnificence, qu'une de ses pet.i.tes pantoufles, la pareille de celle qu'elle avoit laisse tomber. On demanda aux Gardes de la porte du Palais s'ils n'avoient point veu sortir une Princesse; ils dirent qu'ils n'avoient vu sortir personne, qu'une jeune fille fort mal vestue, & qui avoit plus l'air d'une Paysanne que d'une Demoiselle. Quand ses deux soeurs revinrent du Bal, Cendrillon leur demanda si elles s'estoient encore bien diverties, & si la belle Dame y avoit este: elles luy dirent que ouy, mais qu'elle s'estoit enfuye lorsque minuit avoit sonne, & si promptement qu'elle avoit laisse tomber une de ses pet.i.tes pantoufles de verre, la plus jolie du monde; que le fils du Roy l'avoit rama.s.see, & qu'il n'avoit fait que la regarder pendant tout le reste du Bal, & qu'a.s.surement il estoit fort amoureux de la belle personne a qui appartenoit la pet.i.te pantoufle. Elles dirent vray, car peu de jours apres, le fils du Roy fit publier a son de trompe, qu'il epouseroit celle dont le pied serait bien juste a la pantoufle. On commenca a l'essayer aux Princesses, ensuite aux d.u.c.h.esses, & a toute la Cour, mais inutilement: on la porta chez les deux soeurs, qui firent tout leur possible pour faire entrer leur pied dans la pantoufle, mais elles ne purent en venir a bout. Cendrillon qui les regardoit, & qui reconnut sa pantoufle, dit en riant, que je voye si elle ne me seroit pas bonne: ses soeurs se mirent a rire & a se mocquer d'elle. Le Gentilhomme qui faisoit l'a.s.say de la pantoufle ayant regarde attentivement Cendrillon, & la trouvant forte belle, dit que cela estoit juste, & qu'il avoit ordre de l'essayer a toutes les filles: il fit a.s.seoir Cendrillon, & approchant la pantoufle de son pet.i.t pied, il vit qu'elle y entroit sans peine, & qu'elle y estoit juste comme de cire. L'etonnement des deux soeurs fut grand, mais plus grand encore quand Cendrillon tira de sa poche l'autre pet.i.te pantoufle qu'elle mit a son pied. La-dessus arriva la Maraine qui ayant donne un coup de sa baguette sur les habits de Cendrillon, les fit devenir encore plus magnifiques que tous les autres.

Alors ses deux soeurs la reconnurent pour la belle personne qu'elles avoient veue au Bal. Elles se jetterent a ses pieds pour luy demander pardon de tous les mauvais traittemens qu'elles luy avoient fait souffrir. Cendrillon les releva, & leur dit en les embra.s.sant, qu'elle leur pardonnoit de bon coeur, & qu'elle les prioit de l'aimer bien toujours. On la mena chez le jeune Prince, paree comme elle estoit: il la trouva encore plus belle que jamais, & peu de jours apres il l'epousa. Cendrillon qui estoit aussi bonne que belle, fit loger ses deux soeurs au Palais, & les maria des le jour meme a deux grands Seigneurs de la Cour.

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Popular Tales Part 10 summary

You're reading Popular Tales. This manga has been translated by Updating. Author(s): Charles Perrault. Already has 879 views.

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